TEMOIGNAGES
Anthony (37) : Permis moto solo
Je m’appelle Anthony et suis né en 1983 avec une agénésie congénitale de la main gauche. Plus concrètement, je n’avais que des embryons de doigts et une main atrophiée. Encore bébé; j’ai bénéficié d’une greffe de deux de mes orteils (le deuxième de chaque pied) à la main gauche pour me « fabriquer » une pince. Cet « aménagement » m’a permis de faire à peu près tout ce que je voulais, sauf quelques sports et instruments de musique. Pour la pratique du 2 roues, non motorisé dans un premier temps, mon handicap ne me posait réellement de problème que pour le freinage. Sur les vélos, le seul frein qui m’était accessible étant le frein arrière, à droite du guidon, j’ai donc acquis une grande maitrise du dérapage…parfois incontrôlé mais sans graves conséquences.
A l’âge de 14 ans, je suis passé à la mobylette, où cette fois le levier de frein droit est celui de la roue avant. Sauf que là, il n’était plus question de dérapages contrôlés et le premier virage avec des graviers dans lequel j’ai dû freiner, me l’a appris à mes dépens. Il m’a donc fallu trouver une solution pour pouvoir également freiner de l’arrière. Mon père m’a alors bricolé un levier de frein au pied, actionné avec le talon du pied gauche (la patte du frein à tambour étant à gauche), ce qui m’a permis de rouler normalement pendant quelques années. A l’époque, il n’y avait pas de BSR, ni de plaques d’immatriculation sur les cyclomoteurs et je ne m’étais même pas posé la question d’une quelconque régularisation… ni de prévenir mon assureur d’ailleurs !
Ensuite j’ai passé mon permis B, sans restriction et sur véhicule standard car le médecin agréé n’a pas jugé nécessaire un quelconque aménagement dans mon cas. Le jour de l’examen, alors que j’aurais dû repartir avec mon papier rose et malgré que mon dossier fût en règle, l’inspecteur avait des doutes sur le fait que je doive lâcher brièvement le volant pour mettre le clignotant et sur la procédure à suivre. Résultat, j’ai juste dû attendre quatre mois pour récupérer mon permis, sans aucune autre modification d’ailleurs. J’apprenais en entrant dans la majorité qu’avec l’administration et ce d’autant plus quand on ne rentre pas dans les cases, qu'il faut savoir faire preuve de patience.
Ensuite j’ai roulé essentiellement à vélo, mais en 2017 je passe mon équivalence de permis A1 avec permis B plus formation de 7h. J’ai mentionné mon handicap au formateur en lui expliquant mon parcours et ai suivi cette formation succincte sur scooter en utilisant uniquement le frein avant. J’ai alors obtenu mon attestation sans aucune autre formalité et personne ne m’a parlé de quelconque démarche administrative liée à mon handicap, ce qui je dois l’avouer me convenait très bien vu mes expériences passées avec l’administration. J’achète donc un scooter XMAX 125 (sans ABS) et commence à rouler ainsi, c’est-à-dire juste avec le frein avant et une roue qui a tendance à bloquer sur les freinages appuyés. Ma première idée d’aménagement a été un frein au pied en réutilisant le mécanisme pédale maitre-cylindre des scooters à 3 roues MP3. Or il ne m’était pas possible de l’installer sans découpe et soudure du cadre, ce que je ne souhaitais pas faire. L’idée suivante a été de coupler les freins avant et arrière sur le même levier...pour voir. Il n’y avait qu’une vis banjo à changer et une purge à réaliser. Le résultat était très satisfaisant à l’usage. Sur mes tests, l’arrière bloquait légèrement avant l’avant, ce qui me paraissait idéal. Pour l’aspect théorique, un calcul très grossier me faisait dire qu’avec un disque avant plus grand, le rapport AV/AR devait se rapprocher des 70/30 préconisés. Quoi qu’il en soit, j’ai gardé cet aménagement discret plusieurs années sur environ 20 000 km jusqu’au jour où… est arrivée l’obligation du fameux contrôle technique. En effet, je suis allé voir mon contrôleur pour savoir s'il accepterait de passer mon véhicule en l’état. La réponse a été non, sans autre argument que le véhicule avait été modifié. Même si j’aurais simplement pu remettre le véhicule dans sa configuration d’origine, passer le contrôle, puis le réaménager comme je le voulais ensuite, j’avais des remords à continuer à rouler ainsi. Je repartais donc dans la même démarche que quelques années auparavant pour trouver une solution technique à mon handicap mais avec en plus la contrainte réglementaire que j’avais jusqu’à lors ignorée.
Je vous passe les détails de tous les détours, voies sans issues et autres sentiers épineux par lesquels je suis passé…pour finalement atterrir chez HMS. Là ce fut une révélation. Je prenais connaissance des nombreux aménagements techniques déjà éprouvés ainsi que du contexte réglementaire qui s’y rapporte. Mais surtout, je prenais conscience que d’autres personnes, avec des contraintes physiques plus importantes que les miennes, conduisent des motos de grosse cylindrée et ce en toute légalité. J’avais tendance jusqu’à présent de vouloir « passer entre les mailles du filet » et de suivre le principe du « vivons heureux vivons cachés » mais finalement cette prise de conscience m’a fait entrevoir de nouvelles perspectives. Après plusieurs discussions avec Marc, je décide donc de réaménager mon scooter avec un déport du levier de frein arrière pour avoir les deux commandes à droite et de faire régulariser ma situation avec la préfecture puisque les textes existent. Avant de réaménager mon scooter, je le remets dans sa configuration d’origine pour lui faire passer le contrôle technique et procède donc ensuite à l’aménagement.
Je finis par trouver un médecin agréé qui comprend à peu près ce que j’essaie tant bien que mal de lui expliquer et obtiens de sa part la mention suivante sur le CERFA :
- Scooter : 44.03
- Moto boite manuelle : 44.05
- Moto boite automatique : 44.05
En effet, entre temps Marc était en train de me motiver à passer le permis A2 et je ne savais pas si j’allais le faire sur moto en boite manuelle ou auto. Je ne savais pas non plus quel(s) véhicule(s) j’allai posséder à l’avenir, donc il me fallait envisager tous les cas de figure. J’envoie alors mon dossier à la préfecture avec tous les éléments nécessaires pour régulariser mon permis A1. Au bout d’un mois sans réponse, je me permets un coup de téléphone pendant lequel on me donne un rendez-vous dans les 10 jours au centre d’examen pour la régularisation. Je ne m’attendais pas à ce que ça se fasse aussi rapidement. Il ne suffisait donc que d’un appel… Sauf que le lendemain, je reçois un email ambigu me disant que finalement il ne va peut-être pas être nécessaire de régulariser…mais qu’ils valideront mon CERFA…que je devrais conserver le document avec moi. Bref, le message n’était pas clair du tout et en cherchant à comprendre, par téléphone, car manifestement ils ne voulaient pas laisser de trace écrite, si il s’agissait d’un document qu’on allait me remettre, ou comment se matérialisait cette validation. On finit par me dire que, vu que je ne possède pas de permis A1 mais juste une « autorisation de conduite » ils ne peuvent pas me régulariser. Quand je réponds que je dois à minima pouvoir justifier à mon assureur que je suis en règle et que j’ai fait toutes les démarches nécessaires, on me fait comprendre de me débrouiller avec lui. J’ai essayé de contacter la hiérarchie préfectorale pour évoquer mon dossier mais toutes mes communications sont restées sans réponses.
Par la suite, j’obtiens alors de Marc le nom du chef de pôle règlementation des permis de conduire du Ministère de l’Intérieur. Par email, je lui expose mon problème et une fois encore silence radio. Mon délai de patience d’un mois écoulé, je me débrouille pour avoir son numéro au ministère et le contacte. Il m’explique alors qu’ils travaillent sur une procédure pour régler mon cas d’ « autorisation de circulation » à régulariser. Entre temps, j’ai acheté une CB125F de 2006 dont j’ai déporté le levier d’embrayage, pour me « faire la main », c’est le cas de le dire, avant de passer mon permis A2, sur la CB500 grise de HMS à priori. Du coup j’ai demandé au ministère de pouvoir régulariser mes deux véhicules (scooter avec déport de frein et CB avec déport du levier d’embrayage). Sur ce point; je reçois un NON catégorique car il n’est pas possible de mentionner, sous condition, des codes restrictifs sur le permis. Les codes mentionnés sont uniquement cumulatifs, c’est-à-dire qu’ils doivent tous s’appliquer.
Peu de temps après, je reçois la CB500 de HMS pour passer mon permis et Marc me dit qu’il a besoin de la moto à Nevers à l’INSERR (Institut National de Sécurité, d’Education Routière et de Recherche) dans le cadre d’une formation des délégués handicap des préfectures à laquelle participe HMS et que le délégué aux permis du ministère sera présent. J’y vois l’opportunité de partager mon « expérience candidat » avec les délégués handicap des préfectures, d’accompagner Marc et HMS sur cette formation, puis pourquoi pas de pousser mon dossier auprès de ma préfecture et du ministère. Ils me confirment alors de visu qu’ils vont me régulariser, qu’ils veulent voir mon véhicule, qu’ils ne m’en régulariseront qu’un seul et me suggèrent que ce soit la CB125 puisque je vais ensuite passer mon permis sur un aménagement équivalent. OUF, ENFIN UNE REPONSE CLAIRE !
Peu de temps après, j’obtiens le rendez-vous et le document qui officialise ma régularisation, pour un seul de mes véhicules, certes, mais je me contente pour l’instant de cette petite victoire et laisse de côté l’aspect multi-véhicules/aménagements. En effet, je garde en tête que je vais devoir passer mon permis bientôt et ne souhaite pas me mettre à dos les inspecteurs de la préfecture ainsi que le ministère. Par ailleurs le ministère précise que le code 44.05, venant d’une directive européenne et pourtant mentionné dans d’autres textes de droit français dont le fameux arrêté de 2022, n’est pas valide en France et que, même s'ils sont mentionnés sur les permis de quelques adhérents HMS, il s’agit d’erreurs de l’ANTS. Le code applicable pour mon déport de levier d’embrayage est donc le 15.02, qui est à la base un code voiture. J’espère que l’ANTS ne me mettra pas également ce code sur ma catégorie B en plus de la catégorie A comme cela a manifestement été le cas pour d’autres adhérents HMS. Dans les semaines qui suivent je fais ma formation et obtiens rapidement le sésame pour pouvoir rendre la moto HMS avant l’été et en faire bénéficier le prochain candidat. Cette étape franchie, je vais commencer par m’acheter une nouvelle bécane, souffler et profiter un peu. Je m’oriente vers une NC750 en DCT pour son aspect utilitaire et économe (je fais 70km/jours). Je compte tout de même me faire confirmer par écrit par la préfecture (ou le ministère) que je n’aurai pas besoin de régulariser mon permis A2 avec cette moto, puisqu’elle possède un embrayage automatique et ce même si le code restriction de mon permis stipule « embrayage manuel ». J’entends déjà Marc me dire « mais si tu peux conduire une boite manuelle, tu peux conduire une boite auto enfin… qui peut le plus peut le moins… ». Certes mais vu tous les déboires que j’ai eu avec les autorités jusqu’à maintenant, je serai plus confiant avec une trace écrite de leur part. Et si par malheur, ils veulent me faire régulariser, on régularisera. Ensuite viendra la bataille des aménagements différents en fonction des types de véhicules différents pour le même permis. En effet le ministère refuse de régulariser plusieurs types d’aménagements pour le même permis. S'il s’agit d’un problème administratif et de « cases manquantes dans le formulaire », eh bien qu’ils règlent donc ce problème administratif ! De mon point de vue, si mon voisin a le droit d’avoir 3 motos différentes dans son garage, eh bien, il n’y a aucune raison que moi, si je suis en mesure de prouver que je peux conduire les 3 (avec aménagements ou non), je ne sois pas autorisé à rouler. Prétendre le contraire est de mon point vue discriminatoire et je compte bien me battre pour défendre ce droit, ne serait-ce que par principe.
L’autre sujet qui me tient à cœur et pour lequel je pense qu’il va falloir clarifier les procédures est la « régularisation » des cyclomotoristes handi. En effet le permis AM n’est pas sanctionné par un examen, et de ce fait n’est pas à proprement parler, de même que mon « équivalence » A1, un permis à part entière. Aussi le document qui m’a été remis pour régulariser mon pseudo-permis A1 ne comportait pas la case AM que je m’attendais à y trouver. Je ne sais donc pas comment les préfectures opèrent dans ces cas-là et je ne suis pas sûr qu’elles le sachent elles-mêmes. Il convient donc à mon sens, de clarifier ces aspects. Je me projette 25 ans en arrière et me dis que si j’avais eu à engager ces mêmes démarches à l’âge de 14 ans dans ce flou juridico-administratif, j’aurais sûrement abandonné dès les premières étapes. Les motards de demain sont les cyclistes et/ou cyclomotoristes d’aujourd’hui et si je veux apporter une contribution aujourd’hui, c’est surtout pour eux.
Je tiens à remercier infiniment HMS et principalement Marc. Comme pour tant d’autres avant, il m’a aidé à y voir plus clair sur les aspects juridiques et administratifs, a partagé son expérience de l’ergonomie du poste de freinage et plus généralement de la mécanique moto. Surtout il m’a motivé pour aller vers les plus grosses cylindrées en boite mécanique et non seulement en boite auto. Encore un grand MERCI !
Également je tiens à remercier l’auto-école François d’Amboise chez qui j’ai fait ma formation et plus particulièrement Bruno et Céline mes formateurs. Ils ont tout de suite accepté le challenge malgré les contraintes et j’ose espérer ne pas leur avoir laissé un trop mauvais souvenir pour qu’ils acceptent de renouveler l’expérience avec d’autres candidats handi à l’avenir.
Merci aussi à mon pote Val qui m’a partagé sa passion de la mécanique moto et m’a donné un coup de main précieux pour la bricole.
Bien évidemment; merci à mon papa pour toute l'aide apportée et de m'avoir fait profiter de son expérience, même s’il n'était pas du tout enthousiaste initialement à l'idée de me voir monter sur une moto.
Enfin un petit mot pour les autorités préfectorales et ministérielle : je comprends leurs difficultés, le manque d’effectifs, les objectifs chiffrés peu compatibles avec le surcroit de temps que nécessite la prise en compte des cas hors des cases, l’incohérence des textes juridiques et le manque d’information….
J’ai juste envie de leur dire : si vous trouvez ces sujets compliqués alors que c'est votre travail, imaginez ce que cela peut représenter pour un candidat novice et essayez, s'il vous plait de vous mettre à sa place. Merci.
Anthony (37).